Perturbateurs endocriniens, nitrates, microplastiques : faut-il s’inquiéter ?

Perturbateurs endocriniens, nitrates, microplastiques : faut-il s’inquiéter ?

Des substances invisibles mais omniprésentes

Boire un verre d’eau du robinet devrait être un geste sans souci. Pourtant, lorsqu’on s’intéresse à ce que contient réellement notre eau potable, quelques noms suscitent inquiétude : perturbateurs endocriniens, nitrates, microplastiques. Ces éléments, difficiles à détecter à l’œil nu, font pourtant partie de notre quotidien. Mais sont-ils dangereux ? Et surtout, faut-il s’en inquiéter ? Explorons ensemble, de manière rigoureuse, leur présence dans notre eau et les moyens d’y faire face.

Perturbateurs endocriniens : l’intrusion silencieuse

Les perturbateurs endocriniens – souvent désignés par leur acronyme PE – sont des substances chimiques capables d’interférer avec notre système hormonal. Ils peuvent dérégler le fonctionnement de la thyroïde, du métabolisme, de la fertilité, et sont suspectés d’augmenter le risque de certains cancers hormono-dépendants.

Ces substances proviennent de nombreuses sources : plastiques alimentaires, cosmétiques, produits ménagers… et aussi des résidus industriels ou pharmaceutiques rejetés dans l’environnement. Une fois dans l’eau, ces molécules persistent, parfois en quantités infimes, mais suffisantes pour impacter l’organisme à long terme, notamment chez les femmes enceintes et les jeunes enfants.

En France, bien que la réglementation européenne (et notamment la directive-cadre sur l’eau) encadre strictement la qualité de l’eau potable, tous les PE ne sont pas encore systématiquement recherchés dans les analyses. Certains, comme le bisphénol A ou les phtalates, ont commencé à être mieux identifiés, mais leur présence reste sous-évaluée.

Par exemple, une étude de l’ANSES publiée en 2019 révèle que 73 % des échantillons d’eau analysés en France contiennent au moins un PE détectable. Est-ce un seuil dangereux ? Pas toujours. Mais cela pose une question essentielle : si ces composés s’accumulent, même à faibles doses, quels sont leurs effets à long terme ?

Nitrates : le revers de l’agriculture intensive

Les nitrates sont naturellement présents dans l’environnement, mais leur concentration a explosé depuis quelques décennies. En cause : l’usage massif d’engrais azotés et l’élevage intensif qui libèrent d’importantes quantités d’azote dans les sols, drainées ensuite vers les nappes phréatiques.

Le principal risque lié aux nitrates dans l’eau concerne les nourrissons. Une consommation excessive peut entraîner la méthémoglobinémie, ou syndrome du bébé bleu, une pathologie qui limite la capacité du sang à transporter l’oxygène. Chez les adultes, une exposition chronique est suspectée d’être liée à certains cancers digestifs. L’Organisation mondiale de la santé recommande ainsi une teneur maximale de 50 mg/L.

En France, bien que la grande majorité des réseaux publics restent conformes à cette norme, plusieurs régions agricoles – Bretagne, Nord, Champagne-Ardenne – affichent régulièrement des taux élevés. Dans certaines communes rurales, l’eau du robinet dépasse encore le seuil légal.

Et si vous habitez en ville, êtes-vous à l’abri ? Pas nécessairement. Même si les grandes agglomérations bénéficient souvent de stations de traitement performantes, l’alimentation en eau peut intégrer des ressources mixtes, dont certaines vulnérables à la pollution agricole.

Microplastiques : une pollution encore mal mesurée

Les microplastiques sont, comme leur nom l’indique, des fragments de plastique de moins de 5 mm de diamètre. Ils proviennent de vêtements synthétiques, d’emballages, de pneus, de produits cosmétiques… mais aussi de la dégradation de déchets plastiques rejetés dans la nature.

En 2017, une étude d’Orb Media a révélé que 83 % des échantillons d’eau du robinet prélevés dans le monde (y compris en Europe de l’Ouest) contenaient des fibres plastiques. Depuis, les recherches se sont multipliées, et les résultats restent préoccupants : les microplastiques peuvent passer les systèmes de filtration traditionnels, et leur ingestion chronique n’est pas sans conséquence.

Leur impact exact sur l’organisme humain reste en cours d’évaluation. Certains fragments pourraient traverser les membranes cellulaires, d’autres agiraient comme des vecteurs de polluants chimiques déjà présents dans l’eau. Une certitude, en revanche : ils n’ont rien à faire dans notre eau de boisson.

Le cocktail chimique : un facteur encore sous-estimé

Au-delà de chaque substance prise individuellement, un enjeu majeur reste encore peu abordé : le cumul. Dans nos robinets, ce n’est pas un seul élément que nous retrouvons, mais un assemblage. Perturbateurs endocriniens + nitrates + micropolluants = quel effet combiné ?

Ce qu’on appelle “l’effet cocktail” est encore peu étudié, car il est difficile à modéliser. Pourtant, des recherches récentes montrent que plusieurs substances a priori inoffensives séparément peuvent devenir préoccupantes une fois mélangées. Et notre organisme, lui, ne filtre pas ces associations avec une précision chirurgicale.

Dans ce contexte, même des taux « acceptables » peuvent finir par poser problème sur le long terme. Il serait donc judicieux de réévaluer non seulement les seuils individuels, mais aussi leurs interactions potentielles.

Et chez vous, que contient vraiment votre eau ?

Heureusement, il est possible d’avoir une idée assez précise de la composition de son eau du robinet. En France, le Ministère de la Santé met à disposition un service public qui permet de consulter les résultats des analyses locales. Vous pouvez y accéder via le site du ministère. Il suffit d’entrer votre code postal pour obtenir les relevés les plus récents.

Vous y verrez les taux de nitrates, de pesticides, de plomb, de résidus médicamenteux, etc. Mais attention, toutes les substances ne sont pas testées, surtout celles encore peu réglementées comme certains PE ou microplastiques.

Si vous habitez une commune filtrant son eau à partir de nappes karstiques (sols calcaires poreux), vous êtes plus exposé à la pollution diffuse. En cas de doute ou si vous constatez une récurrence d’avis d’ébullition ou des dépassements de normes, il peut être judicieux d’agir à votre échelle.

Les solutions à la maison : entre filtration et vigilance

Bonne nouvelle : il existe des moyens concrets pour limiter votre exposition à ces polluants. Des systèmes de filtration domestiques permettent de retenir tout ou partie de ces substances. Encore faut-il bien choisir.

Voici quelques options à considérer :

  • Charbon actif : efficace contre certains pesticides, le chlore, les résidus organiques, et réduit partiellement les PE. Facile à installer (carafes filtrantes, filtres sous évier).
  • Osmose inverse : solution très complète, capable d’éliminer jusqu’à 99 % des polluants, y compris les nitrates et les microplastiques. Nécessite un investissement plus important et une installation fixe.
  • Filtres à céramique et à échange d’ions : utiles en complément pour certains métaux lourds ou pour adoucir l’eau dure (chargée en calcaire).

Attention toutefois : certains systèmes bon marché ne filtrent qu’une faible partie des substances. Et un filtre mal entretenu peut devenir, lui-même, un nid à bactéries ! Il est capital de lire les notices, de vérifier les certifications (comme la norme NSF/ANSI) et de comparer les performances réelles affichées par les fabricants.

Mieux boire, c’est aussi mieux choisir

Enfin, gardons en tête que tous ces efforts n’ont pas pour but de nous rendre paranoïaques, mais bien de protéger notre santé et nos proches. L’eau est un besoin vital. Savoir ce qu’elle contient est donc un droit fondamental.

Sans céder à la panique, il est plus que jamais utile de s’informer, de consulter les données locales, de recouper les informations – et de ne pas hésiter à investir, si besoin, dans une solution de filtration adaptée à son foyer. Si l’État assure un niveau de qualité global relativement bon, il reste des marges d’amélioration, en particulier face aux nouveaux polluants émergents.

Et qui sait ? En partageant ces infos autour de nous, nous contribuerons peut-être aussi à faire bouger les lignes. Après tout, exiger une eau saine, c’est avant tout un acte citoyen.